Afrique

Dr. Sidi Ould Tah : «L’investissement dans les infrastructures est capital pour l’avenir de l’Afrique »

INTERVIEW
Publié le 09 janvier 2025
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Depuis son arrivée à la tête de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) en 2015, le Dr Sidi Ould Tah incarne une vision ambitieuse : renforcer les liens entre le monde arabe et le continent africain tout en soutenant des projets structurants pour accélérer le développement économique. Dans un contexte marqué par des défis globaux – du changement climatique à l’instabilité économique – le président de la BADEA partage, dans cet entretien exclusif, sa lecture des enjeux, les grandes orientations stratégiques de l’institution et sa conviction que l’Afrique, avec des partenariats solides et innovants, peut relever ces défis pour ouvrir une nouvelle ère de prospérité partagée.

La Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) a été créée dans le but de renforcer la coopération économique, financière et technique entre les régions arabe et africaine et pour incarner la solidarité arabo-africaine. L’institution qui a fêté ses 50 ans en 2024 a-t-elle atteint les objectifs qu’elle s’est fixés ?

La BADEA a indéniablement parcouru un long chemin depuis sa création en 1974. Les résultats obtenus sont tangibles et ont contribué de manière significative au développement économique et social de nombreux pays africains.

En cinq décennies, la Banque a financé un grand nombre de projets dans des secteurs clés tels que les infrastructures, l’agriculture, l’énergie et les petites et moyennes entreprises. Ces investissements ont permis de créer des emplois, d’améliorer les conditions de vie des populations et de renforcer les capacités des États africains.

Cependant, il est important de souligner que le développement est un processus continu qui ne s’arrête jamais. Les besoins de l’Afrique évoluent rapidement, notamment en raison de la croissance démographique, de l’urbanisation et des défis liés au changement climatique. Il est donc essentiel de maintenir le cap et de poursuivre nos efforts avec la même détermination.
La célébration de nos 50 ans est l’occasion de faire un bilan de nos réalisations, mais aussi de nous projeter vers l’avenir. Nous avons la ferme intention de renforcer notre impact en nous adaptant aux nouveaux enjeux et en développant des solutions innovantes. Notre objectif est de continuer à être un partenaire de choix pour le développement de l’Afrique, en étroite collaboration avec les gouvernements, le secteur privé et la société civile.

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L’institution que vous dirigez finance des projets dans divers domaines. A votre avis est-ce qu’il y a un secteur qui nécessite plus d’engagement en Afrique?

C’est une excellente question qui met le doigt sur un enjeu crucial pour le développement de l’Afrique. Il est vrai que la BADEA s’engage dans de nombreux secteurs, chacun étant essentiel à la croissance économique du continent. Cependant, si je devais mettre en avant un domaine qui nécessite un engagement encore plus soutenu, je dirais sans hésiter les infrastructures, tant physiques que numériques.

L’Afrique a un immense potentiel de croissance, mais celui-ci est freiné par un déficit chronique en infrastructures. Les routes, les ports, les aéroports, les réseaux électriques et les infrastructures numériques sont les artères vitales de toute économie. En investissant massivement dans ces domaines, nous pouvons stimuler un flux économique continental interne sans précédent.

Une meilleure intégration régionale, facilitée par des infrastructures modernes et performantes, aura un effet d’entraînement sur tous les autres secteurs. Les échanges commerciaux seront facilités, les coûts de production réduits, et de nouvelles opportunités d’affaires verront le jour. Cela permettra de créer de l’emploi, de réduire la pauvreté et de renforcer les économies africaines.

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En somme, l’investissement dans les infrastructures est capital pour l’avenir de l’Afrique. Il s’agit d’un levier puissant pour accélérer la croissance économique, réduire les inégalités et renforcer la résilience du continent face aux défis globaux.

Votre institution a inauguré il y a quelques années une orientation, appelée « Stratégie 2030 ». Quels en étaient les motivations et comment appréciez-vous son opérationnalisation depuis lors ?

La Stratégie 2030 de la BADEA a été conçue dans un contexte où l’Afrique, notre continent, est à un tournant de son histoire. Les besoins en matière de développement sont immenses et les opportunités, nombreuses. Notre objectif était clair : aligner notre institution sur les aspirations des pays africains, tels qu’exprimées dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine, et contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable des Nations Unies.

Le premier quinquennat de cette stratégie a été une période de transformation profonde pour la BADEA. Nous avons mis en œuvre un plan ambitieux, axé sur quatre piliers clés : Investissement dans les infrastructures, les chaînes de valeur agricole, le commerce, le développement du secteur privé, les PME et l’entrepreneuriat… Les résultats obtenus sont encourageants. Nous avons non seulement atteint nos objectifs, mais nous les avons souvent dépassés. Cela témoigne de la pertinence de notre stratégie et de l’engagement de nos équipes.
Nous entamons désormais le deuxième quinquennat de la Stratégie 2030 avec un sentiment de fierté, mais aussi avec une grande détermination. Le nouveau plan, doté d’un budget accru de 18 milliards de dollars, nous permettra d’intensifier nos interventions et d’accélérer le développement du continent.

Bien entendu, nous ne nous reposons pas sur nos lauriers. Le contexte mondial évolue rapidement et nous devons nous adapter en permanence. C’est pourquoi nous avons mis en place un dispositif de suivi et d’évaluation rigoureux qui nous permet d’ajuster notre stratégie si nécessaire. Nous sommes convaincus que la BADEA continuera à jouer un rôle de premier plan dans le développement de l’Afrique.

Lire : Performance : la résilience financière de la BADEA en exergue

Les besoins en financements sont énormes sur le continent africain auquel les observateurs et spécialistes reconnaissaient un fort potentiel. Pourtant dans le même temps la surestimation des risques y freine encore beaucoup les investissements. Comment expliquez-vous cet état des choses et qu’est-ce qui est fait au niveau de la BADEA pour prendre une part active au développement du continent ?

Votre question est pertinente et met le doigt sur un enjeu central de notre stratégie. En effet, cette augmentation de capital historique, qui porte notre capital autorisé à 20 milliards de dollars, est un signal fort adressé à nos partenaires et aux acteurs du développement.
Elle traduit notre conviction profonde que l’Afrique est un continent d’opportunités, avec un potentiel de croissance économique considérable. Nous sommes convaincus que les investissements dans les infrastructures, le capital humain et le développement durable sont les clés de ce développement.

La BADEA a procédé en 2022 à une augmentation de son capital autorisé de 376 %, passant de 4,2 milliards USD à 20 milliards USD. Doit-on y comprendre que votre institution croit au potentiel africain que nous avons évoqué précédemment ?

En augmentant nos capacités financières, nous poursuivons plusieurs objectifs :
• Multiplier nos financements : cette hausse de capital nous permettra de soutenir un nombre plus important de projets d’envergure, dans des secteurs clés comme l’énergie, l’agriculture, les infrastructures et les technologies de l’information et de la communication.
• Accroître l’impact de nos interventions : en travaillant en étroite collaboration avec nos partenaires, notamment au sein du groupe de coordination arabe, nous pourrons optimiser l’utilisation des ressources et maximiser l’impact de nos interventions sur le terrain.

• Renforcer notre rôle de catalyseur : la BADEA souhaite devenir un acteur de référence du financement du développement en Afrique. En mobilisant des financements supplémentaires et en structurant des opérations complexes, nous visons à attirer d’autres investisseurs et à stimuler l’investissement privé.

En rapport avec l’épineuse question du financement, la BADEA a fait le constat d’une forte demande émanant du secteur privé fragilisé par les gouvernements qui ne veulent ou ne peuvent plus s’endetter pour financer des infrastructures notamment.

Quelles mesures avez-vous prises au niveau de la BADEA en faveur du secteur privé ? Par ailleurs, le secteur privé dans la plupart des pays africains s’adosse sur un tissu de petites et moyennes entreprises (PME). Quelles actions mène ou a mené la BADEA avec les PME africaines ?

Vous soulevez un point crucial. Il est indéniable que le secteur privé est devenu le moteur de la croissance en Afrique. À la BADEA, nous avons très tôt compris l’importance de ce constat. C’est pourquoi notre stratégie BADEA 2030 accorde une place centrale au secteur privé.

Deux piliers de cette stratégie lui sont spécifiquement dédiés. Ils visent à renforcer le financement du secteur privé, à améliorer l’environnement des affaires et à promouvoir les partenariats public-privé. Mais ce n’est pas tout. Même dans les autres piliers, traditionnellement associés au secteur public, comme les infrastructures, nous intégrons désormais une dimension privée forte. Nous croyons fermement que c’est en travaillant main dans la main avec le secteur privé que nous parviendrons à accélérer le développement du continent.

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La BADEA à titre principal s’évertue à faciliter et à catalyser le flux de capitaux et d’investissements arabes vers l’Afrique. Mais depuis quelques années, la banque s’intéresse également au commerce –commerce arabo-africain et commerce intra-africain-. Sur ce deuxième point quel peut être l’impact réel de la mise en œuvre de la Zone de libre échange continentale (Zlecaf) en rapport avec les engagements de votre institution ?

La ZLECAf représente une véritable révolution pour le continent africain, et la BADEA est pleinement engagée à accompagner cette dynamique. Notre institution a toujours eu pour mission de favoriser les échanges économiques entre le monde arabe et l’Afrique. Cependant, nous avons rapidement compris que le développement du commerce intra-africain était tout aussi essentiel pour accélérer la croissance et l’intégration économique du continent.
La ZLECAf offre un cadre sans précédent pour concrétiser cette ambition. En éliminant les barrières commerciales et en facilitant la circulation des biens et des services, elle va stimuler considérablement les échanges entre les pays africains.

Au même titre que la BADEA, plusieurs institutions de financements multilatérales s’intéressent au continent africain. Quels types de relations entretient l’institution que vous dirigez avec ses homologues ?

La BADEA entretient des relations de partenariat étroites avec ses homologues. Nous croyons fermement que la coopération est essentielle pour maximiser l’impact de nos interventions et répondre aux besoins complexes et variés des pays africains. Ces partenariats nous permettent de :

Mutualiser nos expertises : en mettant en commun nos connaissances et nos expériences respectives, nous pouvons concevoir des projets plus ambitieux et plus adaptés aux réalités locales.

Optimiser l’utilisation des ressources : le cofinancement de projets permet de mobiliser des ressources plus importantes et de réduire les risques pour chaque institution.
Compléter nos offres : chaque institution dispose de ses propres spécificités et de ses domaines de prédilection. En travaillant ensemble, nous pouvons offrir une gamme de produits et de services plus complète aux pays bénéficiaires.

Au cinquantenaire de la Banque Arabe

Concrètement, nous collaborons avec de nombreuses institutions, telles que la Banque africaine de développement, Afreximbank, la Banque islamique de développement, etc. Ces partenariats se traduisent par des co-financements de projets, des échanges d’expertise, des initiatives conjointes, et une coordination étroite sur certains dossiers.

La BADEA présente la particularité d’être l’une des très rares banques multilatérales de développement dont le mandat est de servir les pays non-actionnaires. Pourtant l’institution cinquantenaire reste assez mal connue du grand public sur le continent africain. Qu’est-ce qui peut l’expliquer et qu’est-ce qui est entrepris pour améliorer l’image de l’institution auprès des populations africaines bénéficiaires finaux de son action ?

La BADEA en effet, jouit d’une solide réputation au sein de la communauté des acteurs du développement, mais sa notoriété auprès du grand public africain est loin d’être à la hauteur de son impact sur le terrain.

Nous sommes conscients de ce défi et mettons en œuvre plusieurs actions pour renforcer notre communication :
• Développer des outils de communication innovants : nous utilisons des supports de communication variés (vidéos, infographies, témoignages) pour rendre nos actions plus visibles et plus attractives.
• Renforcer notre présence sur les réseaux sociaux : nous sommes de plus en plus présents sur les réseaux sociaux pour toucher un public plus large et plus jeune.
• Mettre en valeur les projets à fort impact social : nous communiquons davantage sur les projets qui ont un impact direct et visible sur la vie des populations, comme ceux liés à l’accès à l’eau, à l’énergie, à l’éducation ou à la santé.
• Collaborer avec les médias : nous développons des partenariats avec les médias pour faire connaître nos actions et les enjeux du développement en Afrique.

Après un demi-siècle d’existence, quelles actions l’institution que vous dirigez envisage d’entreprendre pour se réinventer ?

Cinquante ans d’existence, c’est un jalon important qui marque un demi-siècle d’engagement au service du développement de l’Afrique. La BADEA a été un acteur clé de cette transformation, en soutenant des milliers de projets dans des secteurs aussi variés que les infrastructures, l’agriculture, l’industrie ou encore l’éducation.

Lire : ZLECAf : Afreximbank prévoit de doubler le financement du commerce intra-africain d’ici 2026

Cependant, le monde change rapidement, et les besoins de l’Afrique évoluent. Face à ces nouveaux défis, la BADEA se réinvente pour rester pertinente et efficace. Notre ambition est de devenir une institution encore plus agile, plus innovante et mieux adaptée aux enjeux du XXIe siècle.

Comment entrevoyez-vous l’avenir de l’institution à moyen et à long terme ?

L’avenir de l’Afrique, c’est celui de sa jeunesse. La BADEA est déterminée à investir dans le capital humain et à soutenir l’entrepreneuriat. Nous allons renforcer nos programmes en faveur de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’accès au financement pour les jeunes entrepreneurs.

Nous envisageons le futur de la BADEA sous le prisme de l’innovation et du partenariat. Nous allons intensifier nos efforts pour mobiliser des financements innovants et promouvoir des solutions durables. Nous souhaitons également renforcer nos partenariats avec les acteurs du secteur privé, les institutions financières internationales et les gouvernements pour maximiser l’impact de nos interventions en faveur de cette jeunesse.

Propos recueillis par Simon Pierre Etoundi

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