Parmi les freins mis en évidence par l’organisation figurent notamment : des législations inadaptées aux évolutions du numérique, des capacités opérationnelles limitées, ainsi que l’émergence de l’intelligence artificielle comme nouvel outil au service des cybercriminels.
Alors que les attaques numériques se multiplient à travers l’Afrique, leur impact ne cesse de s’aggraver. Les acteurs publics et privés redoublent d’efforts pour contenir ce phénomène, mais ces actions se heurtent à de nombreux freins structurels. Dans son rapport 2025 sur l’évaluation des menaces cyber en Afrique, Interpol met en lumière cinq grands obstacles qui entravent la lutte contre la cybercriminalité sur le continent, dont le coût est estimé à plus de 3 milliards de dollars entre 2019 et 2025.
Des cadres juridiques en retard sur les réalités numériques
Interpol souligne que les législations nationales sont souvent dépassées par la sophistication croissante des crimes en ligne. En 2024, 65 % des États africains n’avaient pas mis à jour leurs lois en matière de cybercriminalité. Par ailleurs, plus de trois quarts des pays estiment que leurs systèmes juridiques et leurs capacités de poursuite doivent être renforcés.
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Bien que des instruments comme la Convention de Budapest (convention internationale contre la cybercriminalité) ou la Convention de Malabo (cadre africain pour la cybersécurité et la protection des données) existent, leur adoption reste marginale selon Interpol car seulement 6 pays africains ont ratifié la première, et 15 États membres de l’Union africaine la seconde.
Des moyens opérationnels largement insuffisants
La mise en œuvre des lois existantes reste un défi de taille. D’après l’enquête d’Interpol, 90 % des pays africains interrogés jugent leurs moyens d’enquête et de poursuite inadaptés. Les obstacles sont nombreux : manque de formation, ressources limitées, absence d’outils spécialisés, pénurie de compétences techniques, faiblesse des infrastructures et lourdeurs administratives.
Le rapport pointe également la difficulté des institutions nationales à intervenir rapidement face à des attaques utilisant des technologies avancées, telles que les services cloud ou les messageries chiffrées. Ces outils, souvent utilisés par les criminels, dépassent les capacités d’intervention de nombreux services locaux.
L’intelligence artificielle, nouvelle arme des cybercriminels
Le rapport révèle que les cyberdélinquants adoptent de plus en plus des tactiques modernes basées sur l’intelligence artificielle, les deepfakes, ou encore la désinformation automatisée. Ces méthodes permettent d’élaborer des arnaques sophistiquées, comme des extorsions via imitation vocale ou vidéo falsifiée, avec des moyens techniques parfois accessibles au grand public. Pourtant, 86 % des agences africaines n’ont pas encore intégré l’IA dans leurs outils de cybersécurité. Ce décalage technologique risque de creuser davantage l’écart entre les capacités des attaquants et celles des forces de l’ordre.
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La nature transnationale de la cybercriminalité exige une collaboration étroite entre États, mais cette coopération reste limitée. Près de 9 agences sur 10 interrogées reconnaissent avoir besoin d’améliorer leur coordination au-delà des frontières, et près de la moitié estiment que des changements profonds sont nécessaires. Parmi les blocages identifiés figurent la lenteur des procédures judiciaires (entraide, extradition), les divergences entre les systèmes juridiques, et le manque de réseaux de confiance et de communication efficaces. De plus, l’accès aux données hébergées hors du continent reste souvent un casse-tête.
Une collaboration difficile avec les acteurs du numérique et de la finance
Les enquêtes sur les crimes numériques nécessitent une coopération fluide avec les entreprises technologiques, les opérateurs télécoms et les établissements financiers. Mais, selon Interpol, ces relations sont encore peu structurées. L’absence de procédures claires, les retards de réponse, et le manque d’accords formels freinent l’efficacité des enquêtes. Les agences de sécurité manquent aussi de compétences et de moyens pour formuler des demandes techniquement recevables. Par ailleurs, des secteurs clés comme les télécommunications ou la fintech, bien qu’étroitement liés à des fraudes comme le SIM swap ou l’abus des services de mobile money, sont encore trop peu impliqués dans les stratégies nationales. Ainsi, 89 % des pays interrogés estiment que leur collaboration avec le secteur privé doit être renforcée de toute urgence.
Le rapport d’Interpol alerte sur l’écart croissant entre les capacités des États africains et les outils utilisés par les cybercriminels. Pour faire face à ces menaces, une approche intégrée juridique, technologique, régionale et internationale apparaît indispensable d’après Interpol. Sans cela, la cybersécurité du continent risque de rester une cible facile pour des attaques de plus en plus sophistiquées.