Célestin Monga

Célestin Monga : « le gel des financements américains pourrait être bénéfique pour l’Afrique »

ECONOMIE
Publié le 17 février 2025
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Dans une interview, l’économiste camerounais fait savoir que cette mesure, bien que traumatisante pour les populations africaines dépendantes de l’aide, pourrait finalement offrir une chance au continent de se libérer de la dépendance et de repenser ses stratégies économiques.

Dans un entretien accordé au « Monde », l’économiste camerounais Célestin Monga, professeur à l’université Harvard, revient sur les conséquences du gel des financements étrangers, notamment ceux accordés par les États-Unis à travers l’Usaid. Selon lui, cette mesure, bien que traumatisante pour les populations africaines dépendantes de l’aide, pourrait finalement offrir une chance à l’Afrique de se libérer de la dépendance et de repenser ses stratégies économiques.

Célestin Monga : "le gel des financements américains pourrait être bénéfique pour l'Afrique"

à Rabat, au côté de l’actrice et mannequin Noémie Lenoir

Pour Célestin Monga, la suspension des financements américains représente un coup dur pour des millions d’Africains dont les vies sont liées aux subventions de l’Usaid, particulièrement dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la défense des droits des femmes. Cependant, il relativise cette situation en insistant sur la responsabilité des élites africaines. Selon lui, le véritable problème réside dans la dépendance volontaire des gouvernements africains à l’aide étrangère. « Pleurnicher pour l’aide n’est pas une stratégie de développement », déclare-t-il, pointant du doigt un manque de vision et d’initiative sur le continent.

La brutalité du discours américain

L’économiste n’hésite pas à rappeler que Donald Trump, en tant que président, a toujours été direct sur ses intentions concernant l’Afrique. Son discours souvent acerbe à l’égard du continent ne l’a pas surpris, lui qui estime que les responsables africains ne peuvent pas être étonnés par les décisions de l’ancien président américain. Pour lui, l’Afrique doit peut-être remercier Donald Trump pour avoir exposé la réalité sans détour, en secouant l’ego des dirigeants africains. Cette brutalité pourrait même être salutaire, estime-t-il, en forçant les Africains à repenser leur place dans l’économie mondiale.

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L’inefficacité des financements

Célestin Monga appelle à un changement de perspective. Selon lui, les sommes allouées à l’aide au développement ne sont qu’une fraction de ce que l’Afrique perd chaque année à cause des flux financiers illicites. En 2023, l’Afrique a reçu moins de 20 milliards de dollars des États-Unis, soit bien moins que les capitaux illicites qui quittent le continent. Célestin Monga souligne également que les véritables enjeux de développement ne se résument pas à des donations externes, mais à une transformation des structures économiques africaines.

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Les 75 % des budgets consacrés à l’éducation et à la santé en Afrique sont principalement utilisés pour le paiement des salaires des fonctionnaires, ce qui ne relève en rien de l’aide internationale, mais des ressources internes des États. L’économiste critique les programmes du FMI, qui souvent imposent des critères budgétaires contraignants, limitant les investissements et favorisant une gestion économique axée sur l’équilibre des comptes publics plutôt que sur des investissements structurants pour l’avenir.

Vers un nouveau modèle économique pour l’Afrique

Au lieu de se concentrer sur des « dons » internationaux, l’économiste plaide pour un modèle économique plus autonome. Il recommande la création de zones économiques spéciales, l’attraction de capitaux privés et une industrialisation de l’Afrique. Selon lui, l’industrialisation ne bénéficierait pas seulement aux pays africains, mais aussi aux pays occidentaux, qui auraient l’opportunité de vendre des équipements et des technologies sur le marché africain en pleine croissance. Célestin Monga cite l’exemple de la Chine, qui a su repérer le potentiel du continent et privilégier une coopération gagnant-gagnant, sans le discours moralisateur souvent adopté par les États-Unis et l’Europe.

L’urgence de sortir de la dépendance et de réinventer l’aide

Célestin Monga appelle à une refonte totale de l’approche de l’aide en Afrique. Les dirigeants africains, selon lui, doivent saisir l’opportunité de l’absence de financement extérieur pour initier un changement structurel. L’industrialisation, l’accès au marché des produits manufacturés africains en Occident et en Asie et la réduction de la dépendance aux matières premières doivent être au cœur de cette nouvelle stratégie.

Lire : Afrique : la levée de fonds des start-up recule de 7 % en 2024

En parallèle, l’économiste met en garde contre l’approche coercitive des pays occidentaux en matière de politique climatique, qui pourrait nuire aux secteurs agricoles de pays comme la Côte d’Ivoire, sans contreparties pour les producteurs locaux. Le climat est un problème global, mais imposer des restrictions sans soutien concret à l’Afrique n’est pas la solution.

Un futur incertain mais porteur d’espoir

Célestin Monga se montre réservé quant aux perspectives de changement immédiat. Selon lui, le manque de leadership des élites africaines actuelles est un frein majeur à l’émergence d’un projet économique commun pour le continent. Cependant, il reste optimiste, notamment grâce à la montée de jeunes leaders africains prêts à remettre en question le statu quo. « La colère qui gronde parmi les jeunes générations pourrait bien être le catalyseur d’une transformation économique profonde en Afrique », conclut-il.

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