Le fondateur du Think Tank Afrikajom Center et expert indépendant auprès des Nations unies sur les droits de l’homme donne sa lecture de la situation politique du Sénégal et du Mali, deux cas d’école qui reflètent le climat politique général en Afrique de l’ouest.
Notre Afrik : le Sénégal a récemment connu une période politique tumultueuse qui a abouti à l’élection surprise du nouveau Président Bassirou Diomaye Faye. Quelle est votre analyse de ces événements qui se sont déroulés au cours des derniers mois au Sénégal ?
Deux défis de taille se présentaient au Sénégal : le respect de la limitation des mandats à deux qui avait fait l’objet d’une contestation sans précédent du régime du président Abdoulaye Wade quand il a forcé un troisième mandat inconstitutionnel lors de la présidentielle de 2012. Les Sénégalais avaient mis en place le M23, un grand mouvement qui avait réuni la société civile sénégalaise et les partis politiques pour empêcher l’élection du président Wade pour un troisième mandat. C’est justement Macky Sall qui a tiré le bénéfice politique de cette mobilisation avec son élection à la magistrature suprême en février 2012.
A partir de 2021, quand Sonko a été inculpé dans l’affaire Adji Sarr/Sonko, l’idée d’un projet de troisième mandat de Macky Sall ne faisait pratiquement plus de doute et a suscité une telle mobilisation sans précédent des Sénégalais dans un contexte, exacerbé par l’effet Covid 19, ce qui a pratiquement rendu impossible un séjour durable de Sonko en prison.
On pensait que la question du troisième mandat était résolue pour de bon. Mais la loi sur le parrainage, votée en procédure d’urgence en 2017 dans un contexte de réprobation générale, avec des manifestations politiques réprimées sans état d’âme, ont constitué les premiers moments d’alerte sur les menaces d’un troisième mandat. La manière dont les candidatures des deux leaders politiques Karim Wade et Khalifa Sall qui pouvaient menacer l’élection de Macky Sall, ont été éliminées de la course de la présidentielle de 2019 par la justice pénale ont constitué un deuxième moment d’alerte sérieuse. A partir de 2021, quand Sonko a été inculpé dans l’affaire Adji Sarr/Sonko, l’idée d’un projet de troisième mandat de Macky Sall ne faisait pratiquement plus de doute et a suscité une telle mobilisation sans précédent des Sénégalais dans un contexte, exacerbé par l’effet Covid 19, ce qui a pratiquement rendu impossible un séjour durable de Sonko en prison. L’éventualité de l’élimination de Sonko pour faire un troisième mandat a été un facteur qui a permis de booster le leadership national et international du président de PASTEF (Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité). En réalité, tout est parti de là pour créer le processus électoral présidentiel le plus long marqué par des manifestations politiques violentes, des arrestations massives de leaders et militants politiques de PASTEF, mais aussi des coups de théâtre avec la médiation qui a permis d’apaiser la situation politique et un dénouement pratiquement miraculeux avec l’élection au premier tour de Bassirou Diomaye Faye. Le deuxième défi de cette élection c’est l’amélioration et l’ancrage de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance qui est une préoccupation prise en charge par les Assises nationales fruit d’une réflexion collective de tous les segments de la société sénégalaise. Cette préoccupation a été prise en charge par le Sursaut Citoyen avec l’ancien premier ministre Mamadou Lamine Loum, Mamadou Ndoye, Dior Fall Sow qui ont permis la poursuite, l’actualisation et la promotion du débat collectif sur les assises tout au long du processus présidentiel.
Pourriez-vous partager votre regard sur la fin du mandat de Macky Sall et les événements qui ont conduit à son départ ?
La fin de mandat de Macky Sall est catastrophique avec beaucoup d’incohérences dans les initiatives et les décisions sur le plan démocratique, autant du côté de l’opposition que de sa propre coalition politique qui en a fait les frais, avec la défaite cuisante du candidat de Benno, Amadou Bâ.
La fin de mandat de Macky Sall est catastrophique avec beaucoup d’incohérences dans les initiatives et les décisions sur le plan démocratique, autant du côté de l’opposition que de sa propre coalition politique qui en a fait les frais, avec la défaite cuisante du candidat de Benno, Amadou Bâ. Les seuls points positifs, qui ne sont pas du tout minces ce sont les dernières résolutions prises pour pacifier l’espace politique. C’est ce qui a permis la libération de Sonko, Diomaye et tous les détenus politiques militant de PASTEF par l’adoption de la loi d’amnistie. Le deuxième acte positif qui a sauvé la démocratie sénégalaise c’est l’acceptation par le président Macky Sall des décisions du Conseil constitutionnel qui ont invalidé ses décrets sur le report des élections. Il faut bien reconnaître que c’est une sauvegarde de l’essentiel en matière de respect de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs. Ce qui n’est pas toujours fréquent en Afrique de l’ouest, et c’est ce qui fait aussi ce qui est convenu d’appeler l’exception sénégalaise.
Avant les dernières élections présidentielles, les principaux opposants de Macky Sall étaient emprisonnés à quelques jours seulement du scrutin. Quelles négociations souterraines ont eu lieu pour la libération de ces opposants, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko ? Quelle est votre analyse de ces événements ?
C’est la conjonction de différents facteurs qui explique le dénouement heureux qui est arrivé au Sénégal, il faut reconnaître que c’est la forte mobilisation de tous les segments de la société sénégalaise pour des élections transparentes, apaisées, crédibles et inclusives qui a contribué à bloquer toutes autres formes d’issues à ces élections. Face à cette situation et aux conséquences qu’elle pourrait avoir sur la stabilité du Sénégal, le président Macky Sall a eu la lucidité et le pragmatisme de faire appel à des personnalités pour une sortie de crise. Ces personnalités ont eu des rencontres avec les leaders de PASTEF et ont pu permettre la libération des détenus politiques. Je m’honore d’avoir fait partie de ces personnalités. Cela n’est pas une surprise pour ceux qui connaissent bien les traditions sénégalaises du dialogue politique. Ça n’a pas toujours été facile, ni bien compris à cause du contexte électoral avancé et surtout à la veille de la campagne électorale. Ce qui peut se comprendre d’ailleurs. Car dès que les leaders sont sortis, ils ont imposé leur rythme et leur cadence à la campagne électorale et ont gagné sans surprises dès le premier tour. C’est ce que j’appelle la fable de la prison vers le palais.
En tant que défenseur des droits de l’homme et membre engagé de la société civile au Sénégal, comment évaluez-vous la situation générale du pays ces dernières années et mois ?
Ces dernières années et ces derniers mois ont été très difficiles au Sénégal avec beaucoup de tensions et beaucoup de violences politiques du fait des enjeux politiques élevés consécutifs à la découverte du pétrole et du gaz depuis 2011. En fait, on a assisté à une crise de croissance de la démocratie sénégalaise avec l’émergence de nouvelles légitimités démocratiques, avec l’émergence d’une jeunesse plus radicale dans ses revendications souverainistes, panafricanistes, mais aussi pour une gouvernance politique plus transparente et fondée sur l’éthique.
Le 24 mars, le peuple sénégalais a élu Bassirou Diomaye Faye en tant que président de la République. Cependant, de nombreux observateurs estiment qu’il est président par défaut et que son compagnon de route et mentor politique, Ousmane Sonko, aurait dû être élu. Craignez-vous une rivalité entre ces deux personnalités ?
De mon point de vue, il s’agit d’un tandem entre Ousmane Sonko leader et président de PASTEF, prétendant légitime à la candidature à la présidence de la République et empêché par tous les moyens de compétir. Mais Sonko a eu la lucidité de proposer trois candidatures dont celle de Diomaye Faye au cas où il serait empêché. Ce qui constitue une première au Sénégal, car d’habitude dès que le leader du parti est empêché aucun autre membre du parti ne peut compétir à sa place : ce qui explique l’absence d’un candidat de la coalition Khalifa Sall en 2019, mais aussi du PDS avec la condamnation de Karim Wade. Par sa générosité, sa lucidité et son sens de l’anticipation politique, Sonko a permis non seulement la présence de son parti à la présidentielle de 2024, mais également de la gagner dès le premier tour avec son ami Bassirou Diomaye Faye.
Par sa générosité, sa lucidité et son sens de l’anticipation politique, Sonko a permis non seulement la présence de son parti à la présidentielle de 2024, mais également de la gagner dès le premier tour avec son ami Bassirou Diomaye Faye.
Revenons maintenant sur le régime sortant de Macky Sall, qui a choisi son ancien Premier ministre, Amadou Ba, comme successeur politique. Quel est votre avis sur la relation entre Macky Sall et Amadou Ba ? Pouvez-vous nous éclairer sur leur dynamique et leur influence respective ?
Amadou Bâ est un fonctionnaire des finances d’élite qui a occupé toutes les hautes fonctions liées à ses compétences spécifiques, mais aussi le ministère des Affaires étrangères. Amadou Bâ n’est pas membre fondateur de l’APR, il n’était même pas candidat à la candidature de Benno, mais quand même il a été choisi par Macky Sall. Cela dit énormément sur son influence silencieuse, mais réelle et profonde sur le parti de Macky Sall. A cela, il faut ajouter son influence internationale similaire à celle de Tidjane Thiam, mais moins visible et moins audible. Ça dit beaucoup d’ailleurs sur son intelligence politique et ses capacités d’actions souterraines qui lui ont valu une sérieuse adversité au sein de l’APR où il semblait être le mal aimé. Il a subi des attaques dures et parfois inacceptables tout au long de la campagne électorale, de l’opposition mais aussi des membres de la direction de son propre parti politique, l’APR. A partir de ce moment, on a senti une espèce de malentendu avec le président Macky Sall, ou pire des divergences politiques profondes qui ont donné l’impression d’un largage du candidat par le patron de l’APR. Ce qui nourrit d’ailleurs en ce moment, polémiques et règlements de comptes.
Quelle est votre évaluation de la place de l’armée dans la politique sénégalaise ?
L’armée sénégalaise a une vieille tradition de fidélité à la République et à l’Etat, on peut dire que c’est une armée apolitique, non partisane et qui n’a aucunement la culture du coup d’Etat militaire. Depuis la crise de décembre 1962, et son dénouement, les officiers de l’armée sénégalaise bien formés « semblent estimer que leur formation, leur culture, et leur éducation est incompatible avec les coups d’Etat militaires ». Ils savent très bien donner des signaux lisibles et perceptibles sur les limites à ne pas franchir par le pouvoir politique. Cette donne semble expliquer aussi les miracles qui arrivent au Sénégal quand tous les signaux d’une menace de catastrophe ou d’un effondrement de la république sont tous allumés, comme c’est le cas du processus électoral chaotique que nous venons de traverser entre 2021 et 2024.
Certains observateurs estiment qu’il y a une certaine impatience parmi la jeunesse sénégalaise en ce qui concerne la vie politique. Partagez-vous cet avis ? Par ailleurs, quel est le rôle des leaders religieux ? Ont-ils toujours autant d’influence qu’auparavant ?
Je partage le sentiment que la jeunesse sénégalaise est impatiente de goûter aux fruits de la rupture paradigmatique et historique intervenue au Sénégal par l’élection dès le premier tour de Bassirou Diomaye Faye et à laquelle elle a contribué de façon active, pour laquelle certains ont perdu leur vie, leur liberté et d’autres sont devenus des handicapés. Je pense que la première urgence de ce gouvernement consiste à trouver dans les meilleurs délais, les moyens de trouver du travail à une jeunesse antisystème qui a cru en Sonko et au projet de PASTEF.
La campagne du PASTEF en mode Diomaye c’est Sonko
Comment envisagez-vous l’avenir de l’ancien président Macky Sall ? Quels sont les défis et les opportunités qui se présentent à lui ?
Si Macky Sall dès l’élection de 2019 avait manifesté de façon claire et nette sa volonté de quitter le pouvoir après son deuxième mandat, de préparer un dauphin, peut être que son parti et sa coalition serait encore au pouvoir aujourd’hui. D’avoir raté cette occasion historique explique encore les problèmes du Sénégal et ses soucis actuels et à venir. Macky avait pratiquement tout réussi, sauf en matière de démocratie, de droits humains et de gouvernance transparente. Et aujourd’hui, il est rattrapé par l’histoire, malgré un bilan prodigieux en matière d’infrastructures et sur le plan diplomatique, notamment la gestion des crises.
Au-delà du Sénégal, pouvez-vous nous donner votre point de vue sur la situation au Mali, en particulier sur l’interdiction récente des activités des partis politiques ? Comment pensez-vous que le soldat Assimi Goita puisse être sauvé, comme vous l’avez mentionné dans l’un de vos écrits ?
La situation au Mali s’explique par beaucoup de facteurs imbriqués et connectés : d’abord la crise sécuritaire causée par l’attaque armée de la Libye par l’OTAN, à l’initiative du président Sarkozy, mais aussi par l’afflux de djihadistes qui sont chassés de l’Algérie sur un territoire très large où l’Etat et les institutions ne sont pas partout présents. Le président Idriss Déby Itno ne pouvait pas si bien dire en reconnaissant que l’OTAN n’avait pas de service après-vente après l’attaque sur la Libye, qui a déstabilisé tout le Sahel, n’avait pas été fait par l’OTAN. L’échec des réponses sécuritaires de la CEDEAO, de la France, et de la Minusma au Mali, explique en partie toutes les difficultés d’ordre politique, diplomatique et sécuritaire que nous connaissons aujourd’hui avec les coups d’Etat militaires et les régimes de transition autoritaires, voire dictatoriaux.
Alioune Tine, the President of the African NGO for Human Rights « Rencontre africaine pour les droits de l’homme » (RADDOH) speaks on August 30, 2012, during a demonstration in front of Gambia’s embassy in Dakar. AFP PHOTO / SEYLLOU (Photo by SEYLLOU / AFP)
A cela, il faut ajouter la crise de la gouvernance, de la démocratie représentative et de l’Etat de droit qui n’est pas seulement spécifique au Mali, car ce sont des crises que nous voyons dans toute la région. La crise du Mali et ses implications sont révélatrices des dysfonctionnements sérieux de la gouvernance mondiale mais aussi de la gouvernance politique de la CEDEAO et de l’UA. Cela dit le gouvernement de transition du président Assimi Goita a connu des avancées réelles avec la mise en place de l’assemblée de transition, l’adoption d’une nouvelle constitution, la création d’un nouvel organe de supervision et également la fixation de la date de l’élection présidentielle le 26 mars 2024.
Après on a connu un revirement total avec un gouvernement de plus en plus répressif interdisant toute voix dissonante, verrouillant l’espace civique et renvoyant aux calendes grecques l’élection présidentielle sensée mettre un terme à la transition et permettant la restauration de l’ordre constitutionnel. Cela créé une impasse politique dans un contexte où la situation sécuritaire continue à se dégrader malgré la prise de Kidal par les Famas et le groupe Wagner. La solution de sagesse pour sauver le président Assimi Goita est simple et accessible : il faut engager un dialogue politique avec toutes les forces vives du Mali pour une sortie de crise consensuelle. Il faut libérer tous les détenus politiques, libérer l’espace civique, reconnaître les libertés fondamentales des Maliens contenues dans la constitution et autoriser le retour des réfugiés politiques maliens. Et ensemble trouver une solution durable à la guerre civile, en établissant le dialogue avec tous les Maliens impliqués dans le conflit des groupes djihadistes armés au Mali.
Propos recueillis par Abdoulaye YERO et Simon Pierre ETOUNDI
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