Faute d’informations officielles, les proches des jeunes qui quittent clandestinement le pays mènent des recherches éprouvantes, fouillant Facebook et des groupes WhatsApp où circulent des images insoutenables, dans l’espoir d’obtenir des réponses.
Chaque année, des milliers de jeunes quittent clandestinement la Guinée pour rejoindre le Maghreb puis l’Europe. Beaucoup disparaissent en chemin, engloutis par la mer, abandonnés dans le désert, arrêtés lors de rafles policières ou enfermés dans des centres de détention. D’autres s’évanouissent volontairement, incapables d’assumer l’échec de leur périple.
Ce phénomène touche plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, mais la Guinée figure désormais parmi les principaux pays d’origine des migrants en route vers l’Europe. «Je sais que le bateau sur lequel mon fils avait embarqué a chaviré, mais personne ne m’a montré son corps. Alors dire qu’il est mort, je ne sais pas…», confie en larmes Abdoul Aziz Baldé. Son fils, Idrissa, parti de Guinée dans l’espoir d’un avenir meilleur, est porté disparu au large du Maroc. Comme lui, des milliers de familles guinéennes vivent dans l’attente, suspendues à une vérité qui ne vient jamais.

Des familles livrées à elles-mêmes
Privées d’informations officielles, les familles se lancent dans des recherches douloureuses. Elles écument Facebook à la recherche d’indices, scrutent des groupes WhatsApp où circulent des images insoutenables de corps retrouvés sur des plages ou dans des morgues. Une quête macabre, nourrie par l’espoir de savoir.
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Depuis un an, l’Organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière (OGLMI) tente de combler ce vide. L’ONG mène un travail inédit pour identifier les familles de disparus et les accompagner dans leurs démarches. «Sur 100 migrants qui partent, au moins dix ne reviendront jamais», explique Elhadj Mohamed Diallo, directeur exécutif de l’OGLMI. Alors que le nombre de disparus se compte en milliers, le sujet demeure largement tabou, aussi bien au niveau national qu’international.
Idrissa, un parcours brisé par l’exil
Pour la première fois, l’ONG se rend chez la famille d’Idrissa, disparu depuis plus d’un an. Dans une maison modeste de Conakry, son père, chauffeur de 62 ans, se remémore son fils aîné, brillant étudiant, aujourd’hui âgé de 29 ans s’il était encore en vie.
Malgré ses diplômes, Idrissa ne voyait aucun avenir en Guinée. Il ne supportait plus de voir son père s’épuiser au travail. «Laisse-moi aller chercher de quoi vivre», lui disait-il. Entre 2023 et 2024, il tentera à plusieurs reprises de rejoindre l’Europe via le Maroc.
Des chiffres alarmants, une douleur invisible
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 50 000 personnes sont mortes ou portées disparues sur les routes migratoires africaines et méditerranéennes entre 2014 et 2025. Des chiffres largement sous-estimés, selon les ONG. Les conséquences psychologiques sont lourdes. AVC, troubles du sommeil, pertes de mémoire : les proches sombrent dans une détresse profonde, souligne le chercheur guinéen Mahmoud Kaba.
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Comme Abdoul Aziz Baldé, Abdoulaye Diallo attend toujours des nouvelles de son fils disparu depuis 2023. Après des passages par la Libye, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, le jeune homme s’est volatilisé dans la région du massif forestier de Gourougou, près de Melilla, zone tristement connue pour les violences et les rafles policières. «Des vies s’éteignent là-bas inutilement», murmure le père, épuisé. «Tant que je n’ai pas vu la preuve de sa mort, je ne peux pas y croire.»
Pour ces parents, la migration n’est ni une honte ni un choix de confort. «C’est un vent qui a soufflé sur toutes les maisons d’Afrique, à cause de la mauvaise gouvernance», résume Abdoulaye Diallo, les yeux rougis. Une phrase qui résume la détresse d’une génération sacrifiée.







