Côte d’Ivoire : une croissance record mais un endettement qui fait débat

Les emprunts contractés par ce pays d’Afrique de l’Ouest correspondent à 58% du PIB. Une situation qui inquiète les économistes.

Le sujet fait débat. Des économistes et certains opposants pensent que le pays croule sous ces emprunts avec un ratio d’endettement s’élevant à 58%, un taux dont la soutenabilité questionne. Le ratio par rapport au PIB recommandé se situe entre 60 et 70%. “La dette en soit n’est pas une mauvaise chose, mais on fait face dans le cas de la Côte d’Ivoire à une dette improductive”, dénonce Ahoua Don Mello, vice-président de l’alliance des pays émergents des Brics. “Sur le budget 2023, près de 42% sont des ressources propres, tout le reste est financé par perfusion de la dette”, poursuit celui qui est aussi vice-président du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), actuel parti politique de l’ex-président Laurent Gbagbo.

Dans la riposte et face à ces argumentaires mis en avant, le gouvernement ivoirien soutient que la situation n’est pas alarmante. « jusqu’à mai 2023, le FMI qui a validé un programme de prêts de 3,5 milliards de dollars, et la Banque mondiale, ont toujours dit que notre dette était soutenable, ce qui veut dire que la Côte d’Ivoire ne présente pas de risque de non-paiement de sa dette”, se défend le ministre de l’Economie Adama Coulibaly. De même Blaise Makaye, docteur en économie et chercheur à l’université de Bouaké (centre) précise « on n’a pas dépassé les 60%, il n’ y a pas le feu en la demeure. Le ratio de la Côte d’Ivoire est bien inférieur à ceux des pays développés, comme la France où elle frôle les 100% ».

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Les infrastructures

La côte d’Ivoire au regard de ses infrastructures est pourtant redevenue un poids lourd en Afrique de l’Ouest. Le pays renaît de ses cendres après une crise post-électorale qui a fait plus de 3.000 morts. Sous la présidence de Ouattara, économiste passé par le Fonds monétaire international (FMI), la confiance revient et la croissance est au rendez-vous avec plus de 7% en moyenne depuis 2011. Les bailleurs de fonds comme la Chine s’y intéresse et les crédits octroyés sont destinés à la réhabilitation des villes. Le peuple assiste alors à une grande urbanisation. Des ponts, des routes et autoroutes pour relier les principales villes, des immeubles sont construits. Le pont Alassane Ouattara est la dernière infrastructure d’ampleur inaugurée en 2023. Il trône au cœur d’Abidjan avec ses haubans et ses illuminations nocturnes aux couleurs du drapeau ivoirien. L’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations en début 2024 a également permis de mettre un coup d’accélérateur aux investissements dans les infrastructures.

A côté de ce “success story” improductif pour certains, le débat se prolonge sur les fortes inégalités qui demeurent en Côte d’Ivoire. Le taux de pauvreté, passé de 55% en 2011 à 39,5% en 2018, diminue désormais plus lentement (35% en 2020). “Le PIB a été multiplié par deux sous Ouattara, c’est à son actif. Mais ce n’est pas un indicateur qui montre comment les richesses sont partagées”, explique à l’AFP l’économiste ivoirien Séraphin Prao. Les quartiers pauvres et insalubres, dont certains sont détruits pour construire des infrastructures, restent nombreux à Abidjan, jouxtant parfois des zones huppées aux villas flambant neuves.

Au sortir de la crise, en 2011, la Côte d’Ivoire avait bénéficié d’un allègement de sa dette extérieure, d’environ 25%. “Cela aurait dû permettre d’affecter les ressources propres de l’Etat dans l’éducation et la santé. Or, les ressources propres ne suffissent même pas aujourd’hui à couvrir les dépenses courantes de l’Etat”, pointe Ahoua Don Mello. “La croissance est à crédit, les fonctionnaires sont payés à crédit”, abonde Séraphin Prao. Les économistes estiment que le gouvernement ferait mieux de vivre de ses propres revenus tout en pensant à rembourser ou diminuer les dettes contractées. En plus, l’économie ivoirienne s’appuie en partie sur son secteur agricole, essentiellement l’exportation du cacao (dont elle est le premier producteur mondial). Une agriculture elle-même menacée par de fortes chaleurs depuis janvier 2024.

Tatiana Kuessie / AFP