Dans cet entretien exclusif, Judith Suminwa Tuluka, Première ministre de la République démocratique du Congo, partage les grandes orientations issues du récent sommet de l’Union africaine et réaffirme l’engagement de son pays en faveur de sa souveraineté et de son intégrité territoriale.
Elle détaille la position du gouvernement face aux forces militaires étrangères, les démarches diplomatiques engagées ainsi que les attentes de la RDC vis-à-vis de la communauté internationale.
Comment accueillez-vous les résolutions du sommet de l’Union africaine qui vient de s’achever sur la situation en République démocratique du Congo ?
L’UA est une organisation continentale dont la RDC est membre et contribue activement aux activités. Notre participation à la 38e session peut être qualifiée de remarquable tant par l’argumentaire que par la pensée positive de tourner l’histoire de notre pays, sinon de la sous-région, vers la paix. Notre engagement est ferme sur ce point.
Le communiqué qui a été publié traduit sans doute la volonté des chefs d’État qui ont réaffirmé sans ambages la souveraineté et l’intégrité du territoire de la République démocratique du Congo. À ceci s’ajoute le rapport du groupe d’experts des Nations unies qui a documenté la présence des troupes rwandaises en RDC et l’exploitation illégale de nos ressources minérales. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une guerre de prédation. N’est-ce pas là reconnaitre l’occupation de notre pays par le Rwanda au regard de la violation des principes de la Charte des Nations Unies et de l’Acte constitutif de l’UA ? Cette violation, par un autre État membre, est constitutive de sanctions prévues dans les textes.
L’UA a mis en garde contre une balkanisation de la RDC. Fait-elle assez à vos yeux au-delà des condamnations ?
Nous pouvons affirmer que nos attentes vis-à-vis de l’Union africaine (UA) doivent être raisonnables. En effet, nous savons que son efficacité reste limitée dans la résolution des conflits sur le continent.
La récente histoire des conflits violents en Afrique illustre bien cette situation. Par exemple, les différentes crises et les conflits armés en RDC ainsi qu’au Soudan du Sud témoignent de l’incapacité de l’Union africaine à imposer une paix durable.
Au sommet AEC-SADC
En revanche, certaines organisations régionales, comme la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) ou la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), ont démontré une plus grande énergie et une efficacité supérieure dans leurs interventions sur le terrain.
Cela soulève des questions sur la pertinence des stratégies mises en œuvre par l’Union africaine face à des situations de crise. L’absence d’une force coercitive continentale est une grande faiblesse pour l’Union africaine.
Vous avez représenté Son Excellence Monsieur le Président Felix Antoine Tshisekedi au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS) pour le mois de février 2025 à Addis-Abeba. Quelles sont les positions défendues et l’argumentaire de la RDC ?
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a déjà condamné, le 28 janvier 2025, tout soutien militaire étranger au M23 et aux autres groupes armés opérant dans l’est de la République démocratique du Congo, exigeant l’arrêt immédiat de ce soutien et le retrait de toutes les forces extérieures du territoire congolais. Pour amener le CPS à exercer ses prérogatives, notamment en vertu de l’article 7 du protocole qui le régit, nous avons présenté des preuves irréfutables de l’agression rwandaise. Nous avons également rappelé la jurisprudence du CPS, qui a déjà par le passé condamné l’agression d’un État membre contre un autre.
En 2008, lors du conflit entre l’Érythrée et Djibouti, le CPS, réuni à Sharm El-Sheikh, avait condamné fermement l’action militaire érythréenne contre Djibouti à Ras Doumeira et dans l’île de Doumeira, exigeant un retrait immédiat et inconditionnel des territoires djiboutiens occupés. Nous attendons qu’il n’y ait pas de politique de deux poids, deux mesures et espérons ardemment du CPS des décisions et mesures concrètes, conformes à cette jurisprudence.
Avez-vous eu le sentiment d’être entendus et compris par les autres pays du continent à Addis-Abeba ?
Notre plaidoyer est pour une cause noble. Et j’ose espérer que je l’ai porté à l’attention de nos pairs africains qui vont démontrer leur engagement au respect des principes sacro-saints de l’intangibilité des frontières et de la non-violation de la souveraineté de la RDC.
Même s’ils n’ont pas nommément cité l’occupant, qui est le Rwanda, ils ont pris note des résolutions de la CEEAC. Rappelez-vous, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), dont la RDC et le Rwanda sont membres, a, dans sa déclaration du 7 février 2025, affirmé avec clarté au paragraphe 23 : « Condamnons fermement le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda et l’enjoignons de cesser immédiatement son offensive et de quitter les territoires occupés illégalement et de respecter les couloirs humanitaires ».
Redoutez-vous, comme les Nations Unies le craignent, une régionalisation du conflit ?
Je suis une femme qui a vu, qui entend tous les jours les témoignages de mes sœurs, mères, filles, qui sont violées, tuées tous les jours parce qu’elles vivent dans une région convoitée par des criminels sanguinaires. Je connais les ravages physiques, psychologiques, psychiques que la guerre engendre. La RDC ne veut nullement un conflit armé régionalisé.
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Je pense que notre volonté d’ouvrir un front diplomatique intense montre à suffisance notre détermination à ne pas vouloir régionaliser le conflit militaire.
Les enjeux que représentent à nos yeux les intérêts de notre pays sont colossaux dans la région et dans le monde, et les conséquences d’une guerre régionale risquent d’être incalculables et néfastes. Ainsi, la jonction des troupes invitées, la SAMIRDC et les Nations unies à travers la Monusco, sont des indicateurs de la paix recherchée et non de violence.
Il faut cependant apprendre de notre histoire. La crainte d’une régionalisation du conflit repose sur des éléments historiques et géopolitiques. L’implication du Rwanda, qui viole délibérément l’intégrité territoriale de la RDC en soutenant le M23, pourrait inciter d’autres acteurs régionaux ou internationaux à s’engager dans le conflit.
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De plus, bien que cela soit souvent négligé, la RDC fait partie de deux communautés économiques, la SADC (communauté de développement d’Afrique australe) et l’EAC (communauté d’Afrique de l’est), qui disposent de pactes de non-agression et de défense commune. À ce jour, aucune de ces communautés n’a condamné ouvertement le Rwanda, ce qui invite à observer attentivement les attitudes des différents acteurs.
Enfin, la richesse en ressources naturelles de la RDC attire l’attention d’acteurs extérieurs, ce qui pourrait exacerber davantage les tensions et inciter à une intervention de belligérants. Une implication accrue de diverses nations pourrait effectivement conduire à une régionalisation du conflit. Nous ne voulons pas que notre beau pays devienne un champ de bataille, car derrière tout cela il y a des peuples à protéger. Des avenirs à protéger. Et l’humanité à protéger.
Que demandez-vous à la communauté internationale ?
Nos demandes ont toujours été claires :
Que la communauté internationale agisse avec fermeté et désigne nommément le Rwanda comme l’agresseur et le condamne sans réserve pour son agression manifeste contre mon pays, la RDC ; que les paroles deviennent des actes.
Le respect des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies et de l’Acte constitutif de l’Union africaine : réaffirmer l’importance de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’unité de la République démocratique du Congo (RDC), ainsi que le principe d’intangibilité des frontières africaines héritées de la colonisation.
Exiger le retrait immédiat et inconditionnel des troupes rwandaises du territoire de la RDC ;
Ordonner au Rwanda de cesser tout soutien au M23 et à la rébellion de l’AFC ainsi que l’exploitation illégale de nos ressources. Et ici, je veux être claire sur un point : les médias et la communauté internationale parlent toujours en termes de « nos ressources minérales »cependant, j’aimerais ajouter une nuance de taille : Nos ressources sont toujours définies comme étant des minerais, mais les ressources sont également humaines. Et le coût humain ne peut pas et ne doit jamais être oublié.
Disposez-vous de moyens militaires conséquents pour reprendre les villes de Goma et Bukavu par la force ?
Comme dit précédemment, nous mettons tout en œuvre pour éviter un conflit armé qui peut se régionaliser. Nous sommes confiants et privilégions la voie diplomatique à travers la mise en œuvre des résolutions issues des sommets SADC-EAC, CEEAC et UA, et même de la résolution en attente au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Mais en cas d’échec, la RDC sera en mesure de prendre ses responsabilités.
Le président angolais João Lourenço, qui vient de prendre les rênes de l’Union africaine, a souhaité des négociations avec le M23. Que lui répondez-vous ?
Le président Lourenço parle des négociations dans le cadre du processus de Nairobi. Il a bien souligné la nécessité de continuer le processus de Luanda ainsi que celui de Nairobi, seul cadre privilégié pour résoudre le conflit. Il a par ailleurs souligné que le processus de Nairobi doit être considéré comme l’unique canal légitime pour le dialogue avec les groupes armés, y compris le M23.
Le Président Lourenço a également demandé à être déchargé de son rôle de médiateur… Qui, à vos yeux, pourrait ou devrait prendre le relais de la médiation ?
Ici, je remercie le Président Lourenço pour son implication active dans la médiation. Actuellement, il est président en exercice de l’UA. En cette qualité, il peut bien décider d’être déchargé ou non de son rôle parce qu’il a la direction de l’UA à travers le Conseil de paix et sécurité. Et la RDC rend un hommage mérité à l’action de négociation que mène le Président Lourenço dans le conflit qui nous oppose au Rwanda.
Lire :RDC: Félix Tshisekedi demande des sanctions contre le Rwanda
Cela étant dit, il est crucial de maintenir une médiation efficace pour parvenir à une solution durable. Le président Lourenço possède une connaissance approfondie des dynamiques sécuritaires en RDC et il a fait preuve d’intégrité et de modération ; il serait judicieux de considérer un acteur qui puisse continuer dans cette lignée.
À Dar es Salaam
À mes yeux, si le Président Lourenço se déchargeait de la médiation, un candidat idéal devrait avant tout être un amoureux de l’Afrique et de ses peuples. Une personne intègre avec une compréhension de la géopolitique panafricaine. Ce candidat pourrait être un représentant d’une organisation régionale qui bénéficierait de l’expertise de dirigeants ayant une compréhension similaire des intérêts en jeu. Ou un ancien chef d’État ou encore un diplomate respecté qui a déjà œuvré pour la paix dans la région, pouvant apporter une perspective équilibrée et constructive.
Quoi qu’il en soit, il est essentiel que le prochain médiateur, s’il y en a, soit perçu comme impartial et capable de rassembler toutes les parties prenantes autour d’un dialogue franc. Cela permettra de favoriser un climat de confiance pour avancer vers la paix.
Seriez-vous disposés à vous asseoir à la même table de négociations que le M23 ? Et le Rwanda ?
Pour nous, la position est claire : le M23 et le Rwanda sont intrinsèquement liés. Comme l’a déjà souligné le Président de la République, toute négociation sérieuse devrait se faire directement avec le Rwanda.
Rappelons-nous qu’il est important de reconnaître que le Rwanda utilise le M23 comme un écran de fumée pour dissimuler son implication directe en RDC. Cette situation constitue une violation flagrante du droit international, car elle viole notre souveraineté et notre intégrité territoriale. Nous sommes ouverts au dialogue, mais ce dialogue doit se dérouler dans un cadre qui reconnaît la réalité de cette dynamique. Je note ici l’engagement de mon pays à œuvrer sans relâche dans le processus de Luanda et de Nairobi autour d’un échange constructif et déterminant d’un avenir de paix pour tous.
Le président rwandais Paul Kagamé a remis en cause la légitimité du président Tshisekedi. Que lui répondez-vous ?
Je souhaite rappeler au Président rwandais que sa vision des choses ne représente pas la réalité congolaise. Le Président rwandais n’a aucune procuration du peuple congolais pour porter ce genre de jugement. Rappelez-moi, le jour où il a été nommé garant du peuple congolais. Comment un chef d’État élu à 99,9 % peut se prévaloir d’être plus légitime que le président de la RDC ? Les élections organisées dans notre pays respectent des standards internationaux, contrairement à la parodie d’élection observée au Rwanda l’année dernière. Cela est ridicule et plus qu’hilarant.
Paul Kagame reste-t-il un interlocuteur crédible pour vous ?
Après l’avoir entendu à l’UA, je remets en question sa capacité à comprendre les évidences que le monde entier peut constater. Récemment, il a même déclaré qu’il ne savait pas s’il y avait des troupes rwandaises à l’est de la RDC, alors que cela relève du secret de polichinelle. Il semble davantage apprécier le son de sa propre voix, faisant fi de la dynamique de réconciliation de sa propre population.
Le président rwandais a accusé la RDC de continuer à abriter les FDLR sur son territoire.
Posez-vous la vraie question. Si les FDLR représentaient une menace aussi grave pour le Rwanda, pourquoi le président Paul Kagame a-t-il refusé de participer au sommet de Luanda du 15 décembre 2024 ? Ce sommet, conçu précisément pour établir un plan de neutralisation des FDLR, offrait au Rwanda l’opportunité idéale d’obtenir les garanties qu’il prétend réclamer. Son absence est un aveu éloquent.
Faisons une démonstration par l’absurde : en 30 ans, combien de fois les FDLR ont-elles envahi le Rwanda ? Combien de villages rwandais ont-ils rasés, combien de civils ont-ils massacrés, combien de milliers de Rwandais ont-ils poussés à l’exil ?
Si le Rwanda affirme que les FDLR constituent une menace existentielle, pourquoi, après toutes ces années d’occupation militaire des territoires où Kigali prétend qu’ils opèrent, n’a-t-il toujours pas réussi à les neutraliser ?
Comment un groupe armé, prétendument cantonné dans une même zone, peut-il encore être brandi comme une menace réelle alors même que les forces rwandaises et leurs supplétifs du M23 contrôlent ces territoires ? Et surtout, en quoi le pillage systématique des ressources minérales et humaines congolaises répond-il au problème des FDLR ou des minorités ?
Pour la première fois, le président Félix Tshisekedi a accusé nommément son prédécesseur Joseph Kabila d’être le commanditaire… Sur quoi sont fondées ces accusations ?
Le président Félix-Antoine Tshisekedi est un chef d’État responsable. Il ne ferait pas une telle accusation sans posséder des preuves irréfutables. Il s’appuie sur ses propres sources d’information, qu’il révélera en temps voulu.
Pour l’instant, le seul visage connu de l’AFC/M23 est celui de Corneille Naanga.
Ce que je trouve extraordinaire, c’est la capacité de certains de se réinventer des rôles de messie alors qu’ils oublient d’où ils viennent. La RDC est un État, un gouvernement établi et structuré. La réalité est que, pour les Congolais, l’AFC est identifiée au M23, qui est lui-même l’émanation du Rwanda.
Avez-vous le sentiment que vos compatriotes entendent le message d’un appel à l’union sacrée ?
L’appel à l’union sacrée résonne profondément dans le cœur des Congolais. La situation actuelle exige une solidarité nationale, quelle que soit l’appartenance politique, religieuse, culturelle ou même ethnique. Nous devons rester unis comme un seul bloc. Ce sera la seule manière de faire face aux défis que nous rencontrons.
Bien sûr, il existe des mécontents et aussi des opportunistes qui peuvent avoir des agendas divergents. Mais j’insiste, lorsque la nation est en péril, il est de la responsabilité de chacun de contribuer à l’unité nationale à travers un sursaut d’orgueil patriotique.
Quoi que l’on en dise, tous les Congolais n’entendent pas se soumettre à la domination d’un quelconque État, fut-il le Rwanda dont les velléités expansionnistes ne sont plus à démontrer.
L’initiative de paix des prélats congolais qui se sont rendus au Rwanda a été diversement appréciée et condamnée par le gouvernement. Pourquoi ?
L’initiative des prélats est louable. Bien qu’elle ait été portée à l’attention de Son Excellence Monsieur le Président de la République, elle n’engage cependant pas le gouvernement. Toutefois, si elle vise réellement à apporter la paix dans notre pays et dans la sous-région, elle sera toujours la bienvenue.
Tendez-vous la main à votre opposition politique ?
Je tiens à mentionner que l’opposition politique est présente dans les institutions de la République. Par conséquent, la situation d’invasion, si pas d’annexion du pays, concerne tous les Congolais, quelle que soit leur appartenance politique, religieuse ou ethnique. Chaque Congolais a un rôle à jouer pour préserver la souveraineté de notre pays. Un pays magnifique, solide, le cœur de l’Afrique.
Entretien mené par Joseph-Marie Elimbi
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