RD Congo : Félix Tshisekedi en danger…

En course pour un second mandat, le président sortant dont le bilan est loin de faire l’unanimité devra affronter le 20 décembre prochain, des poids lourds comme Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Augustin Matata Ponyo, Adolphe Muzito, Moïse Katumbi ou encore Denis Mukwege.

RD Congo Félix Tshisekedi en danger…

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Félix Tshisekedi en danger…

Les Congolais sont attendus aux urnes le 20 décembre 2023 dans le cadre de la présidentielle, des législatives et des provinciales. La convocation du corps électoral le 1er septembre dernier s’est faite sur une note d’optimisme affichée du président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, malgré les nombreuses critiques sur la crédibilité du fichier électoral et l’insécurité qui prévaut dans certaines parties du pays, a tenu à rassurer l’opinion. « À ces prophètes de malheur qui espèrent et affirment à haute voix que la CENI sera la cause d’un violent conflit postélectoral, qui justifierait une grave instabilité politique et conduirait à un changement de régime antidémocratique, nous répondons simplement en deux mots : sans effets », lance Denis Kadima. Le calendrier électoral prévoit le lancement de la campagne électorale le 19 novembre prochain pour les trois scrutins couplés. Mais, au sein de l’opinion, la présidentielle est le scrutin qui cristallise plus d’attentions au regard de son importance et de la stature des personnalités qu’elle implique.
Candidat à sa propre succession, Félix Tshisekedi a reçu l’onction de compétir à l’issue du premier congrès de l’Union sacrée de la Nation tenu le 1er octobre dernier à Kinshasa. Et il y a des soutiens de poids pour porter cette candidature. C’est le cas de Jean-Pierre Bemba qui dit avoir renoncé à se présenter pour permettre au sortant de « parachever sa vision du développement de notre beau pays ». Le président du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) qui a requis au préalable l’onction de sa formation politique au cours d’un congrès organisé la veille dans la capitale congolaise, évoque certaines avancées palpables enregistrées durant son premier quinquennat. « Les multiples réalisations et avancées significatives escomptées avec l’avènement de l’Union Sacrée de la Nation dans les domaines des infrastructures, l’éducation nationale, la santé, la défense nationale, la diplomatie, la lutte contre la corruption, les droits de l’homme (…) Mais, aussi la décrispation de l’espace politique qui sont des signaux forts d’une volonté politique qui remet notre Congo à sa place sur l’échiquier mondial et dans le concert des nations. Il reste encore du chemin à parcourir », indique l’ancien vice-président de la République.

Une opposition en rangs dispersés, mais déterminée
Celui qui est par ailleurs vice-Premier ministre et ministre de la Défense dit noter « la montée en puissance sur le terrain de nos forces armées, sous l’impulsion et la supervision du Chef de l’État, commandant suprême des FARDC, pour sécuriser l’ensemble du territoire national et sa population ». Comme lui, Vital Kamerhe, le vice-Premier ministre en charge de l’Économie, et par ailleurs leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC) a décidé de soutenir Félix Tshisekedi. Notamment, dans le Nord-Kivu à l’Est du pays, une région en proie à l’insécurité menée par les groupes armés.
Nonobstant ce bilan élogieux aux yeux de ses partisans et ses soutiens, la partie n’est pas gagnée d’avance pour le président sortant. Car, un nouveau bail au palais de la Nation de Kinshasa est inhérent à la stratégie de l’opposition qui, quoique divisée, reste déterminée à prendre sa revanche de l’échec de 2018. Martin Fayulu qui incarne l’aile dure de cette opposition radicale au régime en place est porté par la coalition Lamuka (« Réveille-toi », en lingala). Le leader de la formation politique Engagement citoyen pour le développement (ECIDE) s’est finalement décidé après plusieurs mois de bataille contre le fichier électoral qu’il juge non-fiable. « Nous allons continuer à nous battre pour exiger la transparence des élections. Nous ne l’avons pas eue par l’audit du fichier électoral, nous l’aurons dans la surveillance du vote ». L’opposant parle de «10 millions de fictifs » sur les 43,9 millions d’électeurs inscrits. « Cette fois-ci, ça ne passera pas… Nous refusons de blanchir la fraude. Nous devons nous mobiliser pour empêcher que la parodie électorale en préparation se réalise », a-t-il promis devant la presse. Lamuka ne présentera pas de candidats aux législatives et aux régionales. Pour sa part, Moïse Katumbi a fait acte de candidature au terme de deux semaines de tournée à travers le pays. Porte-fanion du parti Leadership et gouvernance pour le développement (LGD), l’ancien gouverneur du Katanga et leader du parti Ensemble pour le changement et président de l’emblématique club de football Tout puissant Mazembe entend prendre sa revanche de 2018 lorsqu’il a été empêché de compétir. « Cette tournée fut loin d’être une promenade de santé. Moïse Katumbi a parcouru plus de 130 kilomètres à pied et plus de 800 kilomètres en bateau. Et tout cela s’est fait véritablement en communion avec la population. Lors de cette tournée dans l’ouest du pays, Moïse Katumbi a démontré qu’il s’est amplement dégagé de l’image de leader katangais dans laquelle on voulait l’enfermer. Il a une popularité nationale qui a été démontrée. C’est ce qu’il faut retenir et c’est l’un des grands enseignements de cette tournée », a souligné Olivier Kamitatu, son directeur de campagne. Augustin Matata Ponyo fait également partie des prétendants au fauteuil présidentiel. Accusé d’avoir détourné plus de 200 millions de dollars dans le cadre d’un projet agroalimentaire situé à Bukanga-Lonzo du temps où il était encore Premier ministre, le président du parti Leadership et gouvernance pour le développement (LGD) clame son innocence et dénonce plutôt un « acharnement » visant à le mettre hors-course. Prix Nobel de la paix en 2018, Denis Mukwege a fini par se décider après de longs mois d’hésitation. Le célèbre gynécologue de Bukavu défendra les couleurs de l’Alliance des Congolais pour la refondation de la nation (ACRN).

L’insécurité au rendez-vous
Le grand absent de ce rendez-vous sera sans doute Joseph Kabila. L’ancien président de la République, depuis son départ du palais de la Nation, est resté en retrait de la vie publique. Mais, d’aucuns expliquent cette attitude par un deal qu’il aurait passé avec son successeur, Félix Tshisekedi, en vue d’un éloignement de la scène politique pendant dix années, l’équivalent de deux mandats, pour rebondir plus tard. Par ailleurs, des millions de Congolais pourraient bien être écartés de cette élection, notamment dans les zones où pullulent les groupes armés. Beaucoup de citoyens en âge de voter ne pourront pas y prendre part. Dans ce climat délétère et peu rassurant, il serait bien difficile par endroits de prendre le risque d’aller voter d’autant plus que toutes les conditions en vue d’un scrutin sécurisé tardent toujours à être réunies.
Au demeurant, pour la précédente présidentielle, Félix Tshisekedi avait fait beaucoup de promesses aux Congolais : lutter contre la corruption, développer les infrastructures, résorber le chômage, faire reculer la pauvreté et mettre un terme à l’insécurité endémique dans l’Est du pays. Les Congolais ont-ils été satisfaits ? Ils l’exprimeront certainement dans les urnes le 20 décembre prochain. La problématique sécuritaire sur laquelle les Congolais ont fondé tant d’espoirs sera sans aucun doute au cœur de la présidentielle. Et quoi que puisse en dire les soutiens du président sortant, la situation reste tendue à l’Est de la République du Congo. Serait-ce assez pour que Félix Tshisekeki puisse en assumer le contrecoup ? La question est posée et les électeurs vont jouer les juges de paix …

Suzanne CHEVALIER