Violence au Cameroun : des idées pour y remédier

On assiste de plus en plus aux cas d’assassinats, féminicides et meurtres. 13 femmes tuées en 52 jours et plusieurs autres cas de tueries. Notre Afrik donne la parole au Dr Moise Tamekem Ngoutsop, sociologue qui explique et propose des pistes de solutions pour y mettre un terme.

Qu’est-ce qui peut expliquer la recrudescence de ces crimes ?

L’explication de cette résurgence des violences peut reposer sur le type de société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. C’est davantage ouvert. Auparavant notre société avait pour seul canal ou moyen de socialisation reconnu, l’école. C’était le lieu par excellence où l’acteur social recevait les bases de sa personnalité. Et entre l’élève et le maître il y avait une relation faite de respect, de soumission de l’élève au maître de telle enseigne qu’on a poussé jusqu’à la crainte du maître. Il était le dépositaire de la connaissance qu’il transmettait à l’élève. Et c’est à travers l’école que les acteurs sociaux espéraient avoir un avenir meilleur. Aujourd’hui ce n’est plus l’école seule qui constitue le moyen de socialisation mais plusieurs canaux de socialisation qui naissent de part et d’autre amplifiés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui ce n’est plus l’acteur social qui est à la recherche de l’information mais c’est l’information qui vient bombarder l’acteur social là où il est sur son smartphone. Ce qui se passe dans les autres sociétés du monde arrivent rapidement dans nos sociétés ce qui n’était pas le cas auparavant.

LIRE AUSSI: Génocide rwandais : le mea-culpa de la France

On est de plus en plus arrosée par la culture de la violence à travers les films, les réseaux sociaux et autres contenus audiovisuels qui font finalement que les jeunes de nos sociétés considèrent ça comme étant normal. Ils dupliquent dont la chose ici d’où la recrudescence des violences. La société ouverte dans laquelle nous vivons est une société qui a sa fenêtre ouverte sur le monde et participe à cette recrudescence de crimes dans notre société.

Comment comprendre le rapport de la jeunesse avec la violence aujourd’hui ?

S’il faut rentrer dans notre micro contexte social, il faut voir que les jeunes qui sont violents envers les aînés, expriment d’une manière ou d’une autre une sorte de frustration. Le parent d’aujourd’hui n’est pas le même parent d’il y a 50 ans. Dans notre société, le parent d’il y a 50 ans était capable à travers son travail de contrôler l’éducation de son enfant, de l’envoyer à l’école, de lui payer ses études et de lui trouver un emploi. C’est-à-dire prendre en charge son enfant de la naissance jusqu’à l’âge adulte et assurer son insertion socio-professionnelle dans la société. Aujourd’hui ce n’est plus pareil. Il y a la démographie qui est croissante et l’école qui assurait la réussite sociale ne parvient plus à remplir cette fonction. Le parent des années 2000 avec la conjoncture économique qui se vit dans notre société n’est plus capable d’assurer une scolarité à son enfant jusqu’à un certain moment. Et le taux de déperdition dans notre société est alarmant. Beaucoup de jeunes laissent l’école en classe de 6e ou 5e avant d’obtenir un BEPC pour s’adonner à des activités génératrices de revenus notamment les conducteurs de moto taxi réputés (extrêmement violents). Ainsi on doit s’attendre à une recrudescence de comportements violents. Sur le plan psychosocial, les jeunes expriment un stress permanent qu’ils vivent au quotidien dû au fait que les parents ne sont plus capables de les prendre en charge.  Tout ceci ajouté à d’autres éléments, créent quelque chose d’explosif qui rapproche ces derniers de la violence.

Beaucoup pointent un doigt accusateur sur l’éducation.  Est-ce à dire que le système éducatif a échoué sur ce volet ?

Il faut une autopsie de ce système. Après les indépendances le colon a mis sur pieds un système éducatif qui était davantage tourné à la formation des auxiliaires de l’administration. Le système éducatif n’était pas construit sur les valeurs endogènes, sur des valeurs de nos sociétés locales, sur notre propre futur. C’est un système éducatif extraverti qui était fondé sur des préoccupations plutôt coloniales que de développement endogène.  L’Enam c’est l’une des premières écoles créées dans les années 1958. Le colonisateur a pensé à former les administrateurs que de former par exemple les agriculteurs. Des administrateurs pour relayer le colon blanc après son départ. Voilà notre système éducatif qui jusqu’aujourd’hui n’a pas connu de mutation, de restitution profonde visant à prioriser nos propres valeurs endogènes comme cela se passe ailleurs. C’est un système se présente comme un peu obsolète et ne correspond plus au type de société qui est en train de se développer. Je ne pense pas qu’il soit fait pour prévoir, prévenir ou contrecarrer les questions de violences. Il est tout à refaire.

Visuel actualisé sur les cas de féminicides au Cameroun depuis janvier 2024. (c) Association @Stopfeminicides237

On peut bien dire que notre système éducatif ne parvient pas à construire une personnalité de base aux citoyens capables de se prendre demain eux-mêmes en charge et d’éviter les comportements déviants. Il n’a pas été conçu pour ça. On peut évoquer l’échec de ce système sur les questions de violences dans notre société. Beaucoup vont rétorquer qu’il existe des cours d’éducations à la société et à la morale (ECM) mais à quelle profondeur ? Quelle est l’importance accordée à ces matières. Ce sont des matières qui au secondaire sont de coefficient 1 pendant que l’allemand ou le français qui sont des langues étrangères ont des coefficients 4. Dans notre système éducatif, un camerounais peut rater le baccalauréat  parce qu’il a eu la sous moyenne en allemand mais il ne peut pas réussir parce qu’il a eu 19 en ECM. Je pense que beaucoup reste à reconstruire, à refaçonner pour ce qui est de notre système éducatif pour faire face à des problèmes structurels qui touchent notre société moderne actuelle.

Que peut faire la société pour ramener les jeunes à de bonnes mœurs ?

Cette question revient à se demander comment de façon introspective nous pouvons en tant que acteurs sociaux conjuguer des efforts pour faire face à cette déferlante. Il faudrait qu’on repense le système éducatif. Il faudrait définir les priorités parce que les comportements déviants lorsqu’ils émettent dans une société on questionne l’éducation. De ce point de vue, je crois qu’il est important de restructurer le système éducatif pour voir comment on peut le mettre en adéquation avec les priorités sociales. Les dirigeants doivent capaciter les parents à pouvoirs tenir bien leurs rôles sociaux. Quand on dit parent cela suppose la responsabilité et lorsque le parent se retrouve dans l’incapacité de remplir ses fonctions sociales, il y a problème. Il faut revaloriser les salaires par exemple pour permettre aux parents de pouvoir répondre aux demandes juvéniles pour que ceux-ci ne se sentent plus lésés. Si la prise en charge est correcte on va assister à une réduction de comportements déviants dans notre société. C’est un problème holistique, social global et dit-on souvent au grand maux les grands remèdes.

Propos recueillis par Tatiana Kuessie