Biodiversité

Environnement : le combat d’un chercheur camerounais pour les lamantins d’Afrique

CLIMAT ET ENVIRONNEMENT
Publié le 17 mars 2025
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Lauréat d’un Whitley Award, la plus haute distinction dans le monde de la conservation de la biodiversité, Aristide Takoukam Kamla, docteur en biologie marine, se bat pour protéger les lamantins d’Afrique, espèce méconnue et menacée, présente dans les eaux douces d’un parc naturel du sud-ouest du Cameroun.

Il y a plus de dix ans, quand il était encore apprenti chercheur à l’Université de Dschang, au Cameroun, Aristide Takoukam Kamla a lui-même longtemps ramé avant de repérer ces habitants des profondeurs. C’est à l’aube que l’on a plus de chance d’observer ces discrets mammifères marins appelés les lamantins d’Afrique. Lorsque la surface du lac est plate comme un miroir, il faut suivre les traînées de bulles. « Sur le terrain, je m’attendais à les voir comme sur Youtube : dans une eau claire, sauter comme des dauphins…. Une idée complètement surréaliste » héritée des publications dédiées aux lamantins de Floride, très différents des africains, confie avec un sourire le scientifique de 39 ans.

Environnement : le combat d'un chercheur camerounais pour les lamantins d'Afrique

Le Dr Aristide Takoukam Kamla avec son prix Whitley 2024

Et c’est grâce aux pêcheurs locaux qu’il a appris à les détecter dans les 4.500 hectares d’eaux sombres du lac Ossa, dans un parc naturel du sud-ouest du Cameroun. Aujourd’hui, le lamantin d’Afrique est « son animal préféré », le sujet de son doctorat à l’Université de Floride, la cause d’un Whitley Award obtenu en 2024 – la plus haute distinction dans le monde de la conservation de la biodiversité.

Une espèce mystérieuse

De retour d’une expédition sur le lac Ossa, Sarah Farinelli, une chercheuse américaine, est émue aux larmes d’avoir pu observer avec lui cinq spécimens, dont une femelle accompagnée de son veau. « C’est énorme ! Il y a certains endroits en Afrique où il est impossible de les voir », explique la trentenaire qui les étudie notamment au Nigeria. On les trouve sur la côte ouest de l’Afrique, entre Mauritanie et Angola mais « c’est une espèce très peu étudiée, autour de laquelle il existe encore beaucoup de mystères », déplore Aristide Takoukam Kamla.

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Considéré comme « vulnérable », le gros herbivore marin parfois surnommé « vache de mer » figure sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature. « Une sous-estimation du statut réel de cette espèce qui fait objet de braconnage », avec un habitat « constamment en danger », regrette le chercheur qui a fondé une organisation de protection des mammifères marins en Afrique, l’AMMCO, avec cinq laboratoires dont un à Dizangué.

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Une espèce protégée

Au lac Ossa, le mammifère n’a d’autre prédateur que l’homme. Il y a quelques années, on servait encore du lamantin en sauce à Dizangué, commune qui regroupe des villages de pêcheurs. Aujourd’hui, leur pêche est interdite, le plat a disparu des menus et une statue de plâtre bleu, érigée dans le village, célèbre leur existence. Mais des menaces subsistent. Sur une rive, Aristide pointe du doigt une raffinerie d’huile de palme artisanale qui déverse ses déchets directement dans l’eau et pollue le lac. Ailleurs, il s’indigne de la présence d’un filet largement déployé pour maximiser les prises. La technique pourrait « retenir un petit lamantin dans ses mailles », s’exclame-t-il, ouvrant une discussion houleuse avec le pêcheur assis dans sa pirogue.

« Nous sommes des autochtones, on vit de ça et on n’a jamais eu à subir des interdictions chez nous, rétorque le vieil homme. « Si vous voulez nous poser des interdictions, il va falloir nous payer chaque mois ».

Environnement : le combat d'un chercheur camerounais pour les lamantins d'Afrique

Dr Aristide Takoukam Kamla

Des habitudes ancestrales

Le rapport des scientifiques avec les communautés locales attachées à des pratiques ancestrales de pêche n’est pas simple. Mais une catastrophe a rapproché les deux mondes. En 2021, la Salvinia Molesta, une plante invasive, a recouvert la moitié du lac et rendu l’habitat invivable pour les poissons et les lamantins. Les scientifiques ont lancé une « lutte biologique » en utilisant des charançons « Cyrtobagous salviniae », un insecte microscopique se nourrissant exclusivement de Salvinia et ils ont appelé les pêcheurs à l’aide. « Ils prenaient la salvinia infestée de charançons pour en mettre un peu partout dans le lac », se souvient Thierry Aviti, chercheur à l’AMMCO. Trois ans plus tard, la plante a quasiment disparu. « A un moment donné, on ne s’en sortait plus » mais les promesses ont été tenues, se souvient Thierry Bossambo, un pêcheur de Dizangué, marqué par le souvenir des longues nuits sans poisson.

Lire : Cameroun : 21 suspects interpellés dans l’affaire de l’assassinat de deux chercheurs

Aristide Takoukam Kamla tient à cette « relation de confiance » avec les pêcheurs pour éviter une « science parachute », de la tour d’ivoire au terrain. Et pour dissuader les possibles braconnages, espère développer un circuit d’écotourisme. Une « priorité », selon Gilbert Oum Ndjocka, le conservateur du parc national de Douala-Edea, pour que « toutes les parties prenantes soient des alliés pour la conservation ».

Notre Afrik avec Afp

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